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Centrale photovoltaïque à l’arrêt et garantie décennale

Vous détenez une centrale photovoltaïque que vous devez mettre à l’arrêt suite à un incident affectant l’un de ses éléments d’équipement et vous vous interrogez sur vos recours ? Cet article devrait vous intéresser.

En effet, la Cour de cassation a rendu en septembre dernier un arrêt qui vient préciser les cas dans lesquels il sera possible, pour le propriétaire de la centrale, de mettre en jeu la garantie décennale de la ou les entreprises responsables de l’incident à l’origine de la mise à l’arrêt de la centrale.

Centrale photovoltaïque à l’arrêt : quelles garanties s’appliquent ? 

Les conditions de la garantie décennale

Pour rappel, aux termes de l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître de l’ouvrage des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

La responsabilité décennale est une responsabilité sans faute prouvée, à l’inverse de la responsabilité civile classique qui nécessite de rapporter la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux… ce qui n’est pas toujours évident !

Pour mettre en jeu la garantie décennale, il faut simplement s’assurer que le désordre qui affecte la centrale photovoltaïque soit bien de nature décennale, c’est-à-dire que :

  • soit il rend impropre l’ouvrage à sa destination,
  • soit qu’il compromet sa solidité.

La centrale photovoltaïque est-elle installée au sol ou en toiture ?

Déjà un premier constat qui peut paraître évident mais qui mérite d’être rappelé : pour envisager d’actionner la garantie décennale, il faut être en présence d’un ouvrage. Cela ne sera donc pas possible en présence d’une centrale au sol.

En revanche, la question peut se poser pour les centrales photovoltaïques qui sont installées en toiture d’un bâtiment soit en intégré bâti soit en surimposition.  En effet, dans ce cas, la centrale photovoltaïque peut assurer les fonctions de clos et de couvert du bâtiment sur lequel elle se trouve.

La garantie décennale peut donc s’appliquer en cas d’infiltrations, de défauts d’étanchéité, de risque d’effondrements ou de risque d’incendie provenant, le plus souvent des panneaux photovoltaïques.

Exclusion de la garantie décennale quand le désordre affecte la seule production électrique

Cela étant, les juridictions, comme la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 24 février 2015, écartent régulièrement le bénéfice de la garantie décennale en présence d’un désordre affectant une centrale photovoltaïque considérant, que « en raison de sa finalité de revente d’énergie entre professionnels, le générateur photovoltaïque a une destination professionnelle exclusive de l’application des dispositions des articles 1792 à 1792-3 du code civil. »[1]

En effet, l’article 1792-7 du Code civil exclut l’application de la garantie décennale en présence d’un élément d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage.

Autrement dit, si le désordre affecte uniquement la production électrique de la centrale photovoltaïque, les juridictions refusent de faire application de la garantie décennale.

L’installateur et son assureur condamnés au titre de la garantie décennale

Pourtant, dans une nouvelle décision rendue le 21 septembre dernier, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a quelque peu modifié  l’appréciation du désordre susceptible de permettre l’application de la garantie décennale en présence d’une centrale photovoltaïque.[2]

L’arrêt de la centrale

En l’espèce, la centrale photovoltaïque était installée en toiture d’un bâtiment dont la couverture existante avait été totalement déposée.  Une fois la centrale construite et raccordée au réseau de distribution d’électricité, divers incidents de production ont conduit à une mise à l’arrêt total de la centrale. Un défaut sériel affectait les boîtiers de connexion équipant les panneaux photovoltaïques et engendrait un risque fort d’incendie.

En appel : pas de garantie décennale pour la panne de production d’un « équipement photovoltaïque« 

Pour la Cour d’appel, la garantie décennale n’avait pas vocation à s’appliquer au cas d’espèce aux motifs que : « les modules photovoltaïques constituent un élément d’équipement dont le vice n’a affecté que la production industrielle d’énergie sans porter atteinte à la solidité et à la destination de l’ouvrage photovoltaïque. » Autrement dit, selon elle, même si la centrale photovoltaïque a été mise à l’arrêt (du fait du désordre sériel qui affecte les panneaux photovoltaïques), dès lors que cette centrale est un ouvrage à vocation professionnelle, la garantie décennale ne peut s’appliquer puisque le désordre affecte uniquement la production électrique de la centrale.

En cassation : la garantie décennale s’applique sur un « ouvrage de couverture » et en cas de « risque d’incendie« 

La Cour de cassation n’est pas du même avis et considère, au contraire, que les « panneaux photovoltaïques participaient de la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble, en assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment. »

Pour la Cour de cassation, quand bien même le désordre a eu pour conséquence la mise à l’arrêt de la centrale l’affectant dans sa fonction de production d’électricité, la garantie décennale pouvait s’appliquer en l’espèce dans la mesure où les panneaux photovoltaïques, qui étaient fixés sur des bacs aciers supportés par les pannes de la charpente, assuraient la couverture du bâtiment.

Mais la Cour de cassation ne s’arrête pas là, puisqu’en plus d’assurer le clos et le couvert, la Haute Juridiction a considéré que les panneaux photovoltaïques ont fait courir à la couverture du bâtiment un risque d’incendie rendant le bâtiment impropre à sa destination.

En effet, pour la Cour de cassation, un simple risque d’incendie, quand bien même il n’aurait donné lieu à aucun début d’incendie, peut rendre un bâtiment impropre à sa destination et justifier l’application de la garantie décennale.

Tels sont les enseignements de cette décision de la Cour de cassation.

Que faire si vous êtes concernés ?

En cas de mise à l’arrêt d’une centrale photovoltaïque, vous devez déterminer si le désordre à l’origine de cette mise à l’arrêt :

  • peut être considéré comme de nature décennale, justifiant d’agir à l’encontre du ou des responsables sur le fondement de l’article 1792 du Code civil ;
  • ou s’il s’agit d’un vice caché, d’un manquement à l’obligation de délivrance conforme ou à une obligation contractuelle susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de son auteur.

Au-delà des problèmes de faute à démontrer, une autre différence majeure entre ces deux types de recours réside dans le délai pour agir :

  • la prescription est de 10 ans à compter de la réception pour la garantie décennale
  • la prescription est de 5 ans à compter de la conclusion du contrat pour la responsabilité contractuelle.

Et dans les deux cas, vous devrez rapporter la preuve du désordre, de sa ou ses causes et déterminer la solution réparatoire nécessaire pour permettre une remise en service rapide de la centrale photovoltaïque.

Souvent, cela nécessitera de mettre rapidement en œuvre une expertise, soit dans un cadre amiable d’assurance soit dans un cadre judiciaire.

Besoin d’aide ?

Chez MARICI Avocats, nous avons l’expérience et la pratique de ce type de contentieux complexes, qui surviennent fréquemment lors de l’exploitation des centrales photovoltaïques : vous pouvez nous solliciter pour vous accompagner dans la gestion des sinistres affectant vos centrales.

Mathilde Charmet-Ingold, avocate associée

 

 

[1] CA Paris, 24 févr. 2015, n° 13/16719.)

[2] C.Cass. 3e chbre 21 sept 2022. Pourvoi n° 21-20.433