Face à la pénurie de main d’œuvre qualifiée, le recours aux salariés détachés de l’Union européenne s’est largement développé. Attention tout de même aux risques de responsabilité pénale et financière, souvent méconnus des donneurs d’ordres.
Dans cet article, vous trouverez les clés pour sécuriser les relations avec vos sous-traitants.
Qu’est-ce qu’un « salarié détaché » ?
Les salariés « détachés » sont les salariés d’une entreprise étrangère, ayant son siège social hors de France (y compris dans l’Union européenne), venant travailler sur le sol français.
Ces travailleurs restent affiliés au régime de sécurité sociale du pays étranger dans lequel leur employeur est établi.
Leur employeur ne doit donc pas les déclarer auprès de l’administration française, ni les soumettre au régime de sécurité sociale français.
Secteurs principaux ayant recours à des « salariés détachés »
Selon un rapport présenté en 2019 par la Direction générale du travail[1], trois secteurs se partageaient 64 % des salariés détachés en France, en 2017 :
- l’industrie
- le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP)
- l’agriculture.
Pour justifier le recours aux salariés détachés, ces secteurs invoquent une pénurie de main d’œuvre spécialisée en France.
Ce qui est bien illustré par les statistiques Pôle emploi des difficultés de recrutement [2] dans ces secteurs, par exemple :
- BTP : 217.610 projets de recrutement dont 62,9% avec difficulté de recrutement
- Industrie : 201.400 projets de recrutement dont 53,5% avec difficulté de recrutement
- Agriculture : 276.180 projets de recrutement dont 36,1% avec difficulté de recrutement et 88,4% de saisonniers.
Le détachement de salariés, un outil de dumping social ?
Dans la mesure où les salariés détachés travaillant en France gardent leur statut de travailleurs étrangers, on pourrait penser que c’est un outil de « dumping social ».
C’est en partie vrai car les charges sociales appliquées par leur pays d’origine sont généralement inférieures aux cotisations sociales françaises salariales (entre 20% et 25% du salaire brut) et patronales (entre 25% et 42% du salaire brut).
Certaines entreprises françaises considèrent donc que les entreprises ayant recours au détachement de salariés leur font une concurrence déloyale car elles proposent des prix plus attractifs lors des appels d’offres.
Néanmoins, du point de vue des salariés détachés, on ne peut plus parler de dumping social depuis la directive UE 2018/957 du 28 juin 2018 transposée en droit français en 2019[4].
En effet, cette directive prévoit que les salariés détachés en France doivent percevoir une rémunération équivalente aux salariés français, y compris les majorations pour heures supplémentaires.
Les entreprises étrangères dans le viseur de l’administration française
Les situations de détachement sont regardées de près par l’Office Central de Lutte Contre le Travail Illégal (OCLTI), les inspections du travail et par l’URSSAF. Elles en font une priorité de leur Plan de Lutte contre le travail illégal [5].
Elles visent en particulier les entreprises réalisant un chiffre d’affaires régulier sur le sol français.
Ces administrations veillent à que celles-ci respectent le cadre imposé par le Code du travail qui prévoit notamment en son article L. 8221-3 [6] que :
Ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés l’employeur qui exerce son activité sur le territoire national de façon habituelle stable et continue –
Le Code du travail considère, en effet, que les entreprises exerçant leur activité sur le territoire national de façon habituelle stable et continue doivent être immatriculées en France et déclarer leurs salariés en France.
A défaut, elles peuvent être poursuivies pour «travail dissimulé par dissimulation d’activité » et par « dissimulation d’emploi salarié »[7].
Poursuites pénales pour recours à des salariés détachés requalifié en « travail dissimulé »
Les contrôles diligentés par l’administration peuvent ainsi logiquement conduire à des poursuites pénales contre l’employeur des salariés détachés.
Mais ces poursuites peuvent également mettre en cause la responsabilité pénale du donneur d’ordres bénéficiaire, celui qui commande la prestation, pour « recours sciemment aux services de celui qui exerce un travail dissimulé »[8].
Le Code du travail réprime ces infractions par :
- une peine de 225.000 € d’amende pour les personnes morales (entreprises donneurs d’ordres)
- et des peines de 3 ans de prison et de 45.000 € d’amende[9] d’amende pour les personnes physiques (dirigeants d’entreprises donneur d’ordres).
Solidarité financière pour les charges URSSAF des salariés détachés
En outre, l’URSSAF peut se retourner contre l’employeur des salariés détachés ainsi que contre le donneur d’ordres pour obtenir le paiement des cotisations qu’elle estime due pour les travailleurs détachés[10]. Elle fait jouer ainsi un mécanisme de solidarité financière entre le donneur d’ordres et son sous-traitant.
En cas de constat de travail dissimulé, l’URSSAF applique d’ailleurs une majoration complémentaire de 25% sur l’ensemble des montants mis en recouvrement[11].
C’est ainsi la double peine, pénale et financière, et cela peut coûter très cher.
En effet, l’URSSAF peut redresser vos cotisations sociales sur 3 ans. Pour un salarié payé au SMIC (1.603,12 € brut mensuel en janvier 2022), comptez a minima 32.000 € de redressement URSSAF !
Cas pratique Madame X, dirigeante d’une entreprise industrielle X, accompagnée par Marici Avocats
Au sein de Marici Avocats, nous sommes souvent saisis par des entreprises du secteur du bâtiment et de l’industrie suite à des contrôles diligentés par la police judiciaire, l’inspection du travail ou encore l’URSSAF.
Prenons le cas de Madame X, récemment convoquée par l’inspection du travail dans le cadre d’une audition libre. Elle est suspectée, en sa qualité de dirigeante, d’avoir commis l’infraction de « recours sciemment aux services de celui qui exerce un travail dissimulé ».
Son entreprise X, établie en France, a contracté avec deux entreprises Y et Z pour des prestations spécifiques d’installations électriques.
Ces entreprises Y et Z sont respectivement établies en Pologne et en Roumanie et faisaient intervenir des salariés détachés sur le sol français, notamment sur les chantiers de Madame X.
L’inspection du travail a diligenté plusieurs contrôles sur le chantier industriel. Le croisement des informations obtenues a notamment révélé que :
- L’entreprise Y (prestataire) réalisait, depuis plusieurs années, une grande partie de son chiffre d’affaires avec l’entreprise X (donneur d’ordres) ;
- L’entreprise Z (prestataire) avait réalisé une grande partie de son dernier chiffre d’affaires avec l’entreprise X (donneur d’ordres).
De ces premiers éléments d’enquête, l’inspection du travail en a déduit que les entreprises Y (prestataire) et Z (prestataire) exerçaient sur le territoire français une « activité habituelle, stable et continue ».
Elles n’avaient donc pas le droit de recourir au détachement de salariés ce qui caractére le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité.
L’inspection du travail considère de surcroît que Madame X et son entreprise ne pouvaient ignorer ces situations.
Les mesures immédiates prises par notre associée, Elise Mialhe, pour sécuriser Madame X dans le cadre de son audition libre
L’audition libre n’est pas une procédure anodine, c’est pourquoi l’assistance d’un avocat est autorisée.
Au contraire d’une garde à vue, la personne est certes libre de partir à tout moment. Néanmoins, elle est questionnée par l’inspection du travail qui dresse un procès-verbal de l’ensemble de ses déclarations.
Madame X étant très stressée par cette audition, Elise Mialhe a commencé par la rassurer sur les conséquences de cette audition :
- L’audition libre diligentée par l’inspection du travail n’implique pas forcément une poursuite pénale. Seul le Procureur de la République peut en effet décider de poursuivre pénalement sur la base d’un procès-verbal transmis par l’inspection du travail ;
- Si l’inspection du travail décide de dresser procès-verbal et de le transmettre au Procureur de la République, Madame X devra obligatoirement en être prévenue[12]. Celle-ci pourra y répondre[13]. Sa réponse devra être transmise par l’inspection du travail au Procureur de la République et pourra éventuellement impacter sur sa décision de poursuivre ou non ;
- De manière générale, les condamnations retenues à l’égard des dirigeants d’entreprises donneur d’ordres sont prononcées avec sursis et les peines d’amende sont bien inférieures à 45.000 Euros. Le principal enjeu est plutôt d’éviter l’inscription au casier judiciaire ;
- A ce stade, l’URSSAF ne s’était pas jointe à la procédure et le risque de solidarité sur les charges sociales éludées n’était pas encore matérialisé.
Elise Mialhe a ensuite préparé l’audition avec Madame X.
Après une analyse très précise du contexte et des règles de droit, Elise Mialhe et Madame X ont anticipé toutes les questions qui pouvaient être posées par l’inspection du travail.
Assistance de Madame X suite à la transmission d’un procès-verbal par l’inspection du travail au procureur de la République
Quelques mois après l’audition libre, Madame X a été avisée par l’inspection du travail de la transmission d’un procès-verbal au procureur de la République. Son objectif ? Obtenir qu’elle soit poursuivie pour recours sciemment à l’entreprise Y qui exerçait un travail dissimulé. L’entreprise Z n’était heureusement plus visée.
Afin de convaincre le Procureur de la République d’abandonner les charges, Maître Elise Mialhe a assisté Madame X dans la préparation d’un courrier de réponse à l’avis reçu.
Elle a notamment invoqué que le Code du travail impose, certes, aux donneurs d’ordres un certain nombre de vérifications. Toutefois, la vérification de la part du chiffre d’affaires réalisé en France sur son chiffre d’affaires total n’est pas prescrite par les textes.
Il a donc été soutenu que son entreprise X ignorait, à juste titre, la situation relative au chiffre d’affaires de l’entreprise Y.
Les arguments admis par la jurisprudence française ont également été développés pour démontrer que Madame X n’avait aucune raison de soupçonner que l’entreprise Y exerçait une « activité habituelle, stable et continue ».
Ce qu’aurait pu faire l’entreprise X, donneur d’ordres, pour éviter cette situation
Pour éviter ces situations stressantes et leurs conséquences financières pénalisantes, Elise Mialhe assiste fréquemment ses clients donneurs d’ordres. Elle audite leur processus de sous-traitance et met en place des outils de prévention en matière de détachement de salariés.
Elise Mialhe vous propose, en particulier, le « Pack Salariés Détachés » qui comprend notamment :
- Audit des obligations de vigilance mises en œuvre par le client ;
- Création d’une procédure interne organisant la mise en œuvre des obligations de vigilance à l’égard de leurs prestataires détachant des salariés ;
- Mise en place des délégations de pouvoirs au salarié opérationnel ou aux mandataires sociaux, les mieux placés pour effectuer les contrôles (le plus souvent, celui au plus proche opérationnellement du risque).
Vous faites appel à des sous-traitants employant des salariés détachés et souhaitez faire le point de vos risques ?
Contactez Maître Elise Mialhe pour une consultation préliminaire.
RÉFÉRENCES
- [1] Rapport de la Direction Générale du Travail présenté en juillet 2019
- [2] Enquête Besoins en main d’œuvre – Pôle emploi
- [4] Ordonnance n°2019-116 du 20 février 2019 (article 3) modifiant l’article L. 1262-4 du Code du travail
- [5] Plan national de lutte contre le travail illégal 2019-2021
- [6] Article L. 8221-3 du Code du travail
- [7] Articles L. 8221-3 du Code du travail ;L. 8221-5 du Code du travail
- [8] Article L. 8221-1 3° du Code du travail
- [9] Article L. 8224-1 à L. 8224-3 du Code du travail
- [10] Article L. 8222-2 du Code du travail
- [11] Article L. 243-7-7 du Code du travail
- [12] Article L. 8113-7 du Code du travail
- [13] Instruction DGT n°11 du 12 septembre 2012