Injure, diffamation ou incitation à la violence, à la haine ou à la discrimination raciale via WhatsApp : infractions privées (contraventions) ou publiques (délits) ?
MARICI Avocats vous donne des éléments de réponse sur cette question d’actualité.
1. WhatsApp, une messagerie privée et cryptée, protégée par le secret des correspondances
WhatsApp se présente comme :
- une messagerie privée : en tant que telle et par principe, l’accès aux messages échangés par ce moyen est réservé aux membres du groupe créé par un administrateur et sous la responsabilité de ce dernier ;
- et cryptée (chiffrement de bout en bout) : les messages écrits ou vocaux, photos et vidéos échangés entre les membres du groupe sont sécurisés et non accessibles aux tiers.
Comme toute correspondance privée, elle est protégée par le secret des correspondances, composante du droit au respect de la vie privée (articles 226-15 et 432-9 du Code pénal ; loi n°91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques ; article 9 du Code civil ; article 8 de la Convention Européenne des droits de l’Homme).
De même, comme toute correspondance privée, sa protection cède devant les impératifs judiciaires dans les cadres légaux prévus.
Notamment, au pénal, les services enquêteurs peuvent avoir l’occasion de prendre connaissance de contenus échangés sur WhatsApp au cours d’enquêtes ou informations judiciaires.
Les articles 100 et suivants du Code de procédure pénale prévoient le cadre des interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques (droit commun).
A l’occasion d’investigations permettant la prise de connaissance de correspondances privées, les services enquêteurs peuvent constater l’existence de faits susceptibles de constituer d’autres infractions, telles des diffamations, injures et/ou incitations à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale.
2. WhatsApp : qualification possible en messages publics ?
La question se pose ici du caractère privé ou public de ces échanges, compte tenu des particularités et des possibilités offertes par les moyens de communications électroniques, au regard notamment du nombre de membres et des possibilités de partage.
S’agissant de la messagerie privée et cryptée WhatsApp : avant 2016, un groupe WhatsApp pouvait compter jusqu’à 100 membres. Depuis, ce nombre a été porté à 256 membres. Par ailleurs, chaque membre peut repartager les éléments reçus dans un groupe en les transférant vers d’autres groupes dont il est également membre.
Dernièrement, des articles de presse se sont fait l’écho de poursuites engagées à l’encontre de personnes auteurs de messages WhatsApp (en l’occurrence des membres des forces de l’ordre, notamment policiers) pour diffamation, injure ou incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale, laissant transparaitre un doute sur le caractère privé ou public de ces échanges.
La répression est cependant bien différente dans les deux cas : infraction contraventionnelle dans le premier cas, délictuelle dans le second.
3. Rappel des infractions : diffamation, injure, incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale
3.1 Diffamation
La diffamation est une allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne.
La diffamation peut être raciste, sexiste, homophobe, …
Elle relève d’une procédure spécifique permettant de protéger la liberté d’expression.
Il y a diffamation même si l’allégation est faite sous forme déguisée ou dubitative, ou si elle est insinuée. Peu importe que le fait en question soit vrai ou faux, mais il doit être suffisamment précis pour faire l’objet, sans difficultés, d’une vérification et d’un débat contradictoire.
Sanctions pénales principales :
DIFFAMATION PUBLIQUE : Délit
Cas général : 12 000 € d’amende maximum.
Racisme, sexisme, homophobie, handiphobie : 1 an d’emprisonnement / 45 000 € d’amende maximum.
Contre un élu, policier, magistrat, agent public,… : 45 000 € d’amende maximum.
DIFFAMATION NON PUBLIQUE : Contravention
Cas général : 38 € d’amende
Racisme, sexisme, homophobie, handiphobie : 1 500 € d’amende
Contre un élu, policier, magistrat, agent public,… : 38 € d’amende
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32079
3.2 Injure
Une injure est une parole, un écrit, une expression quelconque de la pensée adressés à une personne dans l’intention de la blesser ou de l’offenser.
L’injure peut être raciste, sexiste, homophobe, …
Sanctions pénales principales
INJURE PUBLIQUE : Délit
Cas général : 12 000 € d’amende maximum.
Racisme, sexisme, homophobie, handiphobie : 1 an d’emprisonnement / 45 000 € d’amende maximum.
INJURE NON PUBLIQUE : Contravention
Cas général : 38 € d’amende maximum.
Racisme, sexisme, homophobie, handiphobie : 1 500 € d’amende maximum.
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32077
3.3 Incitation à la haine ou à la discrimination raciale
L’auteur cherche non seulement à convaincre les témoins de ses propos, mais aussi à les pousser à agir. Les propos doivent avoir été prononcés dans des termes et dans un contexte qui impliquent la volonté de leur auteur de convaincre d’autres personnes.
Les personnes visées peuvent être un groupe de personnes non dénommées ou une ou plusieurs personnes précisées et désignées par leur nom.
A la différence de la diffamation raciste, l’incitation à la haine raciale concerne des propos haineux ou violents sans accusation précise.
Sanctions pénales principales
INCITATION… PUBLIQUE : Délit
1 an d’emprisonnement / 45 000 € d’amende maximum.
INCITATION… NON PUBLIQUE : Contravention
1 500 € d’amende maximum.
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32575
NB : Ces trois infractions peuvent se retrouver successivement dans les propos de l’auteur et pourront dans ce cas être réprimées séparément.
4. Qualifications pénales en cas d’utilisation de WhatsApp pour la communication de propos litigieux
Si des propos susceptibles de constituer une diffamation, une injure ou une incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale apparaissent dans une discussion WhatsApp, la question se pose de savoir si cette discussion présente un caractère privé ou public.
Le caractère privé devrait de prime abord être retenu : il s’agit d’une discussion dont l’accès est limité aux seuls membres du groupe concerné, personne d’autre ne pouvant y accéder ; les membres ont en principe un lien entre eux justifiant qu’ils fassent partie de ce groupe (lien d’amitié, familial, de travail, d’intérêts divers, …). En outre, dans les faits, ces groupes comptent généralement un nombre de membres relativement limité (ex : une quarantaine d’étudiants d’une même formation).
Le caractère public pourrait cependant être retenu dans des circonstances particulières, notamment au regard du nombre important de membres (jusqu’à 256 membres à date), des fluctuations dans ces membres (certains sortant et d’autres entrant régulièrement), du fait qu’ils ne se connaitraient pas tous ou ne seraient pas susceptibles de pouvoir se connaitre.
L’intérêt commun entre les membres du groupe pourrait ne pas paraitre suffisant pour exclure le caractère public, si celui-ci est par exemple trop général.
Plus globalement, se pose la question de la pertinence de la distinction privé / public pour ce type d’infractions commises au moyen d’un moyen de communication électronique tel que WhatsApp (bien distinct des réseaux sociaux comme Facebook).
En outre, se pose la question de l’efficacité de cette distinction privé / public par rapport aux objectifs poursuivis, lorsque les auteurs des propos litigieux sont des membres des forces de l’ordre (policiers, gendarmes), lesquels sont tenus de respecter des règles déontologiques s’appliquant en toutes circonstances et dont le non-respect peut faire l’objet de sanctions disciplinaires.
SOURCES :
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N31126
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : article 32 (Peines encourues en cas de diffamation publique), article 33 (Peine encourue en cas d’injure publique).
Code pénal : article R625-8 (Peines encourues en cas de diffamation non publique), article R621-2 (Peines encourues en cas d’injure non publique), R625-8 (Peine encourue en cas de diffamation non publique à caractère discriminatoire), articles R625-8-1 (Peine encourue en cas d’injure non publique à caractère discriminatoire).
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : article 65-3 (Délai de prescription en cas d’injure ou de diffamation raciale), article 33 (Peine encourue en cas d’injure publique).
Code pénal : article R621-2 (Peine encourue en cas d’injure non publique),
articles R625-8-1 (Peine encourue en cas d’injure non publique à caractère discriminatoire).
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : article 24 (Peine encourue pour incitation publique à la haine raciale), article 50-1 (Fermeture des sites incitant à la haine raciale).
Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : article 6 (Blocage des sites incitant à la haine raciale).
Code pénal : article R625-7 (Peine encourue pour incitation non publique à la haine raciale).